C'est une discussion pleine d'intérêt, un peu difficile à suivre avec les quelques digressions sur ce qui est du cinéma d'auteur ou pas et si le CNC est gentil ou méchant (même si c'est intéressant).
Je ne peux m'empêcher d'apporter mon grain de sel à cette grande salière, car ayant fait financer très récemment mon dernier court via Ulule (financement auquel pas mal de fous ont participé...), je me sens assez concerné. Comme tout a été dit, je vais juste raconter mon expérience pour rebondir sur certaines remarques.
D'abord, ça faisait des années que je pensais à ce film. Pendant à peu près 3 ans j'ai tourné en rond, avancé, reculé, réfléchi, mûri l'idée... Parallèlement j'ai essayé d'obtenir quelques aides mais sans succès. Certaines aides auxquelles je croyais me sont passées sous le nez. Je pense par exemple à cette aide aux projets cross-media à Annecy : mon projet initial prévoyait une application mobile et un site Internet en plus du film, tous 3 spécifiques et complémentaires, pour créer une œuvre inédite et ouverte vers les autres, un vrai projet cross-media cohérent, quoi. J'ai travaillé des mois sur ce concept et plusieurs semaines pour ficeler un dossier complet. Au final, sur 8 projets présentés pour cette aide, 4 ont été retenus (50%), mais pas le mien. Idem pour d'autres aides. Dans le meilleur des cas, j'ai eu un courrier type et très sobre pour me signifier le refus, dans les autres cas, rien du tout. Je ne remets pas en cause le principe d'attribution de ces aides, d'autres projets méritaient sans doute plus d'être aidés, et le fait d'être seul ne joue évidemment pas en ma faveur. C'est juste vraiment décourageant quand on se bat seul pour mener à bien un projet auquel on croit.
A partir de ce constat, je n'avais pas d'autre choix que de me débrouiller autrement, repenser le truc. J'ai abandonné (peut-être provisoirement ?) les deux autres volets du projet, pour me concentrer sur le court métrage que je voulais absolument mener à bien. Ne parvenant pas à dégager suffisamment de temps pour m'y consacrer pleinement, j'ai vu dans le crowdfunding le coup de pouce nécessaire pour m'y remettre et le terminer. J'ai créé une page sur le site Ulule et j'ai demandé 3000 €, une somme symbolique puisqu'il me restait des mois de travail, mais c'est justement le symbole qui compte dans cette démarche, et c'est là que je veux en venir.
En effet, plus que l'aspect financier, ce qui m'a vraiment aidé c'est le fait que des gens, parfois des inconnus, s'intéressent au film au point de verser une contribution pour l'aider à voir le jour. Je suis sûr que ce sentiment est commun à la plupart des porteurs de projets. Le crowdfunding permet aux projets comme le mien d'être littéralement "portés", un peu comme les cyclistes qui arrivent en vue du col du Galibier et qui galvanisés par le public en délire reprennent courage pour parcourir les derniers mètres qui les séparent du sommet
Et franchement, ça a compté autant que l'argent versé, peut-être même plus. Sans parler du fait qu'on se sent alors redevable auprès de ces gens, et donc contraint d'aller au bout.
Alors oui, c'est sûr, c'est délicat de demander des sous. De là à parler de "mendicité"... le terme est pour le moins inapproprié ! Je serais donc un mendiant, avec toutes les tristes images que ce mot véhicule ? J'ose espérer que c'est la qualité d'un projet qui motive les contributeurs, avec comme perspective la satisfaction de se dire qu'on a participé à quelque chose auquel on croit. J'espère que ceux qui ont aidé mon film n'ont pas eu l'impression de me faire l'aumône, ce qui serait bien décevant. Pour ma part j'ai aussi aidé plusieurs projets et continuerai à le faire, juste parce que je veux les voir se concrétiser !
Partant de là, j'aimerais bien comprendre ce qui différencie ce procédé de l'obtention d'une aide du CNC ou d'une région. En quoi se faire aider par le CNC est-il différent de se faire aider par des particuliers (je parle du procédé, pas des sommes en jeu ni de l'ampleur des projets ou leur qualité) ? Le CNC a-t-il un objectif plus noble que ceux qui soutiennent des projets sur Ulule ? Attend-il des contreparties financières, donne-t-il dans le but de récupérer sa mise ? Son objectif n'est-il pas juste d'aider des projets qui valent le coup ? Du point de vue du demandeur, maintenant : une prod qui dépose un dossier au CNC, le fait bien afin de toucher de l'argent pour réaliser son film, non ? Est-ce que ceux qui parmi vous ont défendu un dossier au CNC ont eu l'impression d'aller mendier ? Ça m'étonnerait. Pourtant c'est la même chose, (toutes proportions gardées) : susciter un intérêt d'ordre artistique (ou autre) suffisamment grand pour convaincre de mettre la main à la poche. Mendier c'est susciter de la pitié sans rien offrir en retour. Il faut quand même faire attention aux mots qu'on emploie, non ?
Enfin je suis persuadé que le crowdfunding, loin d'être la poubelle des projets qui n'ont pas vu le jour par les circuits classiques, représente juste un moyen différent d'arriver à ses fins, et tout aussi légitime. D'une part pour aider à concrétiser des idées nouvelles, surprenantes, qui n'auraient jamais été financées autrement, et d'autre part parce que le crowdfunding "marque" un projet. Ça, c'est sans doute un aspect qu'on ne retrouve pas dans d'autres modes de financement. Le fait qu'on soit dans une relation plus "humaine", plus affective, avec moins de distance. Ça change non seulement la façon dont est réalisé le projet, mais aussi la manière dont il
vit une fois réalisé. Pour en revenir à mon film, cette participation collective a beaucoup changé mon approche. Au départ très personnelle, l'histoire s'est ouverte sur les autres. Je considère qu'en l'aidant les gens se le sont un peu appropriés et que le film leur appartient aussi. J'espère qu'on le ressent en le visionnant.