Petite réflexion du dimanche matin:
J'ai bossé sur mon premier film en 3D à la fin des années 80, c'était au CCETT de Rennes, la machine s'appelait Cubicomp et les calculateurs étaient des VAX. la salle de calculs ressemblait à un décor de 2001 space odissey. Pendant qu'on faisait joujou avec nos "bêtises" (une histoire de cochons dans l'espace, très crétin...) des tas de mecs en blouses blanches s'affairaient sur l'énorme PC entièrement ouvert...c'était surréaliste!
On se disait que cette nouvelle technique allait cartonner un max. Et en effet, ça a cartonné un max!
Seule ombre au tableau, les extraordinaires outils logiciels sont restés relativement lourds à utiliser et surtout, ont généré un immense formatage de la production. La 3D ne s'est jamais vraiment remise de sa course au "réalisme" et à l'imitation de ses grands frères: photo et cinéma. Pour des raisons liées au rendu spectaculaire qui semblait renouveler les formes et les possibilités cinématographiques, elle est entrée dans les grands studios qui ont senti la poule aux oeufs d'or et ont choisi de produire de l'entertainment à tours de bras. Ce qui a permis un développement extraordinaire de l'outil et sa démocratisation. On aurait pu croire que cet "accés à tous" apporterai de réelles inventions et donc, des projets originaux et spécifiques... malheureusement, il y a peu de films originaux car ce qui est mesuré et apprécié est avant tout la capacité à imiter ce qui est produit par l'industrie. Les écoles produisent des films brillants mais tout aussi formatés en visant les même modèles: à la PIXAR, à la DREAMWORKS ou à la BLUESKY etc... cela n'enlève rien au talent de ceux qui font ces films. Mais ça reste très limité. Ces écoles forment des techniciens qui pourront trouver du boulot chez les industriels cités plus haut (par exemple). Et c'est là le gros problème de ces outils. Ils génèrent, finalement, assez peu de recherches originales. Il y a sans doute plusieurs raisons à cela: manque de temps (en production), manque d'intérêt pour l'histoire des images en général, ou manque de curiosité, de réflexion etc....souvent, volonté de séduire à tout prix en utilisant ce qui est censé séduire...
On peut cuisiner, mélanger, bidouiller...bref, se donner l'impression qu'on invente de toutes pièces, mais ce n'est qu'un leurre. C'est une cuisine pré fabriquée, quelque part, à l'autre bout du monde, par des techniciens et des ingénieurs. Attention, je n'ai rien contre ces gens. Ils oeuvrent dans un contexte particulier. je continue à penser que toutes ces contraintes et limites sont, ou devraient produire des choses très intéressantes mais en restant conscients des limites imposées.
Même si, paradoxalement, on a l'impression d'être "Dieu" avec ces outils...le cinéaste absolu à qui aucune reproduction du réel et de la vie ne fait peur...aucun mouvement de caméra ni aucun décor intergalactique, aucune créature triturée et sculptée, aucun rêve ni phantasme....
Je crois qu'il suffirait de ne plus avoir ces modèles en tête, plus ces rythmes, ces mouvements et ces images empruntées, pour arriver à vraiment définir son propre univers...le rendre intéressant, et le faire partager en proposant de nouveaux codes, une nouvelle grammaire...de nouveaux rythmes cinématographiques. C'est ambitieux, je sais...mais en ces temps de prolifération, c'est peut être nécessaire.
Je n'oublie pas qu'il faut aussi laisser le temps aux nouveaux venus pour digérer et se faire sa propre idée. Et ce n'est déjà pas si mal de "réussir" un court métrage avec du rythme et un solide sens du récit souvent référencé aux plus grands et aux modèles cités plus haut.
Je me prends à rêver d'un projet PIXAR (ou autres) totalement inédit et audacieux, qui leur ferait prendre un vrai risque financier et surtout, un vrai risque formel et/ou narratif...avec le pognon qu'ils se font, ils pourraient tenter ça déjà avec leurs court métrages...qui, finalement, et même s'ils en est de jubilatoires, restent conformes à une forme très standard du modèle Cartoon (le vrai). Ce n'est pas pour rien qu'on y trouve une certaine nostalgie qui devient un peu agaçante. parce qu'ils n'inventent rien. Ils reproduisent en plus "brillant", "chromé", lustré... mais sans la folie, le génie de la vitesse et l'invention d'un Tex Avery ou n'importe quel Chuck Jones ou Hanna et Barbera de la bonne époque. Ils mettent en 3 dimensions mais, à part la possibilité de belles lumières et éclairages, le seule dimension des "z" n'apporte rien de nouveau.
Je ne prône pas l'abandon total des modèles, je crois que c'est une question de proportions. Et il n'y a pas meilleur contexte que celui qui est indépendant, détaché de toutes formes de rentabilité...et l'ordinateur at home est vraiment une chance pour aller dans ce sens.
Et j'aime bien cette réflexion du cinéaste Serge Avédikian en forme de provocation: "Beaucoup de cinéastes disent qu'ils font un film en couleurs, mais ce n'est pas vrai, c'est la pellicule qui est en couleurs!...ce n'est pas eux qui choisissent les couleurs.."
Tout ça à mon humble avis bien entendu. C'est toujours discutable...et tant mieux!