Je rebalance ici la petite chronique que j'ai faite dans la partie festivals du site.
Signe Baumane n'avait pas pu rester à cette seconde projection dans la petite salle du Flagey. Elle était comble d'ailleurs la salle. J'ai beaucoup aimé ce film, malgré une bande son assez monocorde, le sujet et la façon dont il était traité m'ont beaucoup plu.
Dans son livre le Mythe de Sisyphe, Albert Camus écrit "Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide". Le premier plan du film de Signe Baumane trouve un écho manifeste à la réflexion de l'écrivain puisqu'on l'y voit pousser un énorme rocher en haut d'une colline.
Le long métrage de cette animatrice lettone est aussi et surtout un film qui raconte les errances de l'auteur dans la folie, la schizophrénie et le suicide.
Fresque autobiographique de la famille de l'auteur, le film retrace les destins de certaines des femmes de sa généalogie, depuis la grand mère enfermée dans la forêt par un mari jaloux au début du XXe jusqu'aux cousines de la réalisatrice le tout dans une Lettonie passant de l'indépendance aux occupations allemande puis russe, puis de nouveau indépendante.
"I was designed to be crazy".
Avec quatre destins de femmes aux pulsions suicidaires, la réalisatrice se demande si ses pulsions autodestructrices et ses angoisses n'ont pas un coté héréditaire. C'est aussi et surtout un touchant témoignage sur les conventions, l'aliénation et les conditions des femmes.
Mêlant des décors en volume et une animation limitée en 2D - limitée mais très expressive à la façon d'un Plympton dont la réalisatrice a été la collaboratrice, le film est l'illustration des paroles de Signe Baumane qu'on entend sur toute la durée.
La voix dans un anglais à l'accent slave accompagne tout le film, c'est une personnalité omniprésente et pour tout dire un peu entêtante. Il doit y avoir à peine cinq minutes de répit dans tout le film, la réalisatrice prend parfois des intonations pour incarner des personnages différents, parents, hommes mais c'est sa voix qui accompagne l'image sur une heure et demi... C'est un choix de réalisation qui ajoute probablement à la proximité qui se crée avec l'auteur, un peu comme une confession ou une conversation un peu impudique. Mais c'est aussi ce qui crée le plus de malaise, cette densité verbale, le ton de la voix est assez monocorde et étourdissante.
Le sujet est très mature, le film commence même par un cours pratique de pendaison : comment régler le problème des sphincters qui se relâchent, de la corde à enduire de savon pour qu'elle serre mieux... J'ai beaucoup apprécié l'ensemble, la lucidité et la radicalité des histoires, l'humour grinçant, j'y ai trouvé un écho favorable à mes propres réflexions, c'est aussi une belle confession, authentique et touchante, une production modeste mais sincère.
C'est même une réussite artistique, un objet cohérent, avec une représentation de la mort assez glaçante, serpent humain sans oreille, presqu'amical. L'animation permet même à la réalisatrice de rencontrer sa grand mère pour lui proposer de mettre des cailloux dans ses poches afin de se lester pour se noyer plus efficacement.
Un peu comme Sita sings the blues en son temps, ce film est un ovni dont l’intérêt est réel dans l'usage qu'il fait de l'animation comme un support analytique au sens freudien, une synthèse de l'intime, la verbalisation, la mise à plat d'un problème personnel dont le résultat est un spectacle passionnant pour le spectateur qui sait se laisser porter par cette étonnante saga familiale et féministe.
Je suppute qu'il ait en ce sens un éclairage spécial à Annecy cette année.